Le soutien aux victimes d’agressions sexuelles : entrevue avec Mireille Cyr

Le soutien aux victimes d’agressions sexuelles : entrevue avec Mireille CyrMireille Cyr est professeure titulaire au département de psychologie de l’Université de Montréal. Elle est également directrice scientifique au Centre de recherche interdisciplinaire sur les problèmes conjugaux et les agressions sexuelles (CRIPCAS) et co-titulaire de la Chaire de recherche Marie-Vincent sur les enfants victimes d’agression sexuelles.

Expertises

Agression sexuelle envers les enfants, Soutien parental, Entrevue d’enquête, Profils d’adaptation

eValorix : À quel besoin souhaitez-vous répondre avec votre recherche ?

Mireille Cyr : J’essaie de répondre aux besoins des victimes d’agressions sexuelles. Mes recherches visent principalement à aider les victimes à deux niveaux. Le premier soutien se fait au niveau de l’assistance dont elles pourraient avoir besoin, notamment de la part de leurs parents non agresseurs, pour composer avec les séquelles de leur agression. Mon second rôle est plutôt situé au niveau de l’entrevue d’enquête réalisée par les policiers avec les enfants : notre but est d’aider les policiers à détenir de meilleurs outils pour mener du mieux possible ces entrevues. Je travaille principalement auprès d’enfants et d’adolescents. Il est certain que l’on est confronté à la souffrance des parents, à l’impact et au choc du dévoilement de l’agression de leur enfant. C’est un domaine de recherche qui peut paraitre difficile au premier abord, de par le contenu de ce que les enfants révèlent, ou de par la souffrance des parents. Cependant, cela n’en est pas moins un domaine motivant par la recherche. Cette dernière contribue à améliorer de manière significative le vécu des parents et donc celui des enfants. Il en est de même pour les policiers : nos recherches les aident à faire de meilleures entrevues, ce qui aide les enfants à se sentir mieux compris, plus écoutés. Mes recherches ne concernent pas directement les traitements auprès des enfants, mais nous savons que le quotidien de ces jeunes est tout de même amélioré grâce à notre activité. Par le biais des parents et des policiers, on les aide à bénéficier d’une aide qui va leur permettre de surmonter le traumatisme qu’ils sont en train de vivre. Cela compense peut-être la difficulté de la thématique des révélations auxquelles nous avons accès. Nous savons que la recherche peut faire une différence sur les pratiques et sur la vie des personnes concernées.

eValorix : Quels sont les défis dans votre champ de recherche ?

Mireille Cyr : Il y a deux principaux défis. Le premier, c’est de travailler au quotidien avec des professionnels en indirect. Ces gens-là sont pris dans leur travail quotidien, ils sont très occupés, que ce soit les psychologues, les travailleurs sociaux, ou même les policiers. Mon accès aux participants pour les projets de recherche se fait grâce à ces personnes-là, et grâce aux contacts de confiance et relations de recherches développées avec eux. Cela implique donc qu’ils arrivent à trouver du temps dans leur horaire et dans leur organisation de façon à pouvoir nous aider à avoir accès à notre clientèle. De plus, les gens lorsque nous les rencontrons sont encore parfois en situation de crise, dans une étape très difficile de leur vie. Solliciter ces gens-là n’est donc pas évident, et ce surtout lorsque les intermédiaires eux-mêmes sont souvent débordés et changent de fonction après quelques années, les liens sont donc à refaire. Le second défi se situe plutôt au niveau des participants. Nous devons aborder nos questions de recherche sans causer plus de dommages sur le vécu des victimes et de leur entourage. Notre rôle est de s’assurer que les interventions et les questions que l’on élabore vont être mises en place dans un climat de soutien et que cela ne viendra pas ajouter un fardeau supplémentaire ou créer des difficultés dans un période de crise majeure pour les victimes.

eValorix : Comment vous êtes-vous intéressée à ce sujet ?

Mireille Cyr : Le déclic s’est fait à travers mon travail de professeur d’université. Je préparais des étudiants à la maitrise en psychologie, ils apprenaient la psychothérapie. J’ai alors été frappée par le nombre de femmes ou de jeunes femmes qui nous révélaient avoir été agressées, souvent par des proches, et qui venaient consulter à cause des séquelles de ces agressions. C’est vraiment après cela que je me suis mise à m’intéresser à la question des agressions sexuelles et je me suis joint à une groupe de recherche qui travaillait en partenariat avec des intervenants des centres jeunesse qui avaient besoin d’assistance pour réaliser leur mission « sur le terrain ». C’est comme cela que j’ai commencé à regarder les séquelles chez les enfants et les adolescents. Je me suis également intéressée au soutien maternel : comment peut-on aider au mieux les mères (et même les pères) à soutenir leur enfant ? La question « Comment faire de bonnes entrevues » est venue du questionnement des intervenants avec qui on travaillait, et s’est étendue aux policiers qui font aussi des entrevues auprès des enfants. Les interrogations sont venues du terrain, de la pratique de ces personnes, des gens avec qui je collabore.

eValorix : Que diriez-vous à quelqu’un qui débute dans votre domaine?

Mireille Cyr : Je lui dirais que même s’il y a eu beaucoup de progrès dans les connaissances et l’intervention concernant les agressions sexuelles, on se rend bien compte quand on regarde l’actualité que cette question-là demeure malheureusement une problématique sociale importante. Les victimes, peu importe leur âge, ont de la difficulté à révéler ce qui s’est passé. Quand arrivent des évènements comme l’histoire de Gilbert Rozon récemment, on se rend compte que le dévoilement n’est toujours pas facile et met parfois longtemps à avoir lieu. Il y a encore des besoins, entre autres pour faciliter cette étape difficile de la révélation. Il y a des périodes de crise pendant lesquelles la médiatisation va en aider certains, mais après, cela retombe. Pour quelqu’un qui débute dans le domaine il y a beaucoup de questions primordiales auxquelles on n’a pas encore répondu : comment faciliter ce dévoilement-là, comment faire de la prévention, comment diminuer le harcèlement sexuel, comment rendre les relations de couple plus respectueuses et égalitaires… Il y a encore du travail sur de nombreux points clés. Les choses avancent, mais avant que les mentalités changent de façon durable, il y a encore du chemin à faire.

Texte par Camille Briquet
Propos recueillis par Camille Briquet