Les produits déchets sourcés et leurs limites : rencontre avec Marilys Pradel

Les produits déchets sourcés et leurs limites : rencontre avec Marilys PradelMarilys Pradel est ingénieure de recherche à Irstea au sein de l’UR « Technologies des Systèmes d’Information pour les agrosystèmes », spécialiste de l’évaluation environnementale des technologies d’épandage agricole et de nouveaux produits fertilisants y compris les boues d’épuration urbaines.

Expertises

Analyse du Cycle de Vie, Bilan Carbone.

À quel besoin souhaitez-vous répondre avec votre recherche ?

Marilys Pradel : Mes recherchent portent sur l’évaluation des performances environnementales des produits déchet-sourcés, avec une application aux fertilisants phosphatés destinés à l’agriculture. Un produit déchet-sourcé est un produit qui est fabriqué en utilisant un déchet comme matière première. Ces derniers peuvent être une solution à l’épuisement des ressources naturelles en permettant de remplacer à terme les produits issus de ressources non renouvelables. Je me suis penchée lors de ma thèse sur les fertilisants phosphatés à destination de l’agriculture. La grande majorité des engrais phosphatés utilisés en agriculture sont produits à partir de roches phosphatées, et donc issus de l’extraction minière. Cette ressource est conséquemment en train de s’épuiser. Aujourd’hui, on sait qu’en 2030 aura lieu un pic de la production de phosphore. Après, forcément, il y aura un épuisement continu de la roche source. 2030 ce n’est que dans moins de 15 ans! Il nous reste donc peu de temps pour réfléchir à des solutions et trouver des productions alternatives à ces fertilisants minéraux phosphatés. L’une des solutions est d’aller chercher la ressource en phosphore dans les déchets, essentiellement les déchets issus des élevages ou des stations d’épuration. Dans mon cas, je me suis intéressée au cas des boues issus des stations d’épuration des eaux usées comme matière première pour récupérer le précieux phosphore.

En résumé, mes recherches cherchent à déterminer de manière pertinente l’impact environnemental des produits déchet-sourcés et à savoir comment améliorer la méthode d’Analyse du Cycle de Vie pour répondre à ces enjeux. Pour l’instant, les professionnels intéressés sont plutôt les traiteurs d’eau. Ils doivent en effet gérer la boue générée par le procédé comme un déchet mais ils pourraient tout aussi bien la valoriser comme un produit. Au lieu d’incinérer les boues ou de les épandre directement sur les sols agricoles, ils pourraient récupérer le phosphore et le vendre comme un fertilisant produit par la station.

Quels sont les défis dans votre champ de recherche ?

Marilys Pradel : Je vois principalement deux défis majeurs.

Le premier consiste à mieux prendre en compte le cycle de vie des produits déchet-sourcés, et notamment la manière de prendre en compte la charge environnementale liée à la production du déchet qui devient un produit. Quand on fait une Analyse du Cycle de Vie, on analyse les impacts environnementaux des produits en prenant en compte l’intégralité de leurs cycles de vie, de leur fabrication à leur fin de vie. Le recyclage permet en quelque sorte de « boucler la boucle », car il évite de puiser à nouveau dans le milieu naturel. L’ACV a également la particularité d’être multicritère : elle permet d’évaluer plusieurs impacts sur l’environnement. On peut ainsi apprécier l’impact sur le changement climatique, l’eutrophisation du milieu aquatique, la toxicité humaine, la destruction de la couche d’ozone… Il existe également un indicateur qui permet d’évaluer l’épuisement des ressources naturelles. Le défi, ici, c’est tout d’abord que dans le cycle de vie d’un produit, le déchet qui sort du système n’a pas de charge environnementale mais seulement un contenu (azote, phosphore, carbone). Vous ne prenez pas en compte les impacts du système qui l’ont produit. Or, à partir du moment où un déchet entre dans une chaine de valeur et crée indirectement de la valeur par sa transformation en un produit à valeur ajoutée, la notion de « zéro charge environnementale » n’est plus valide. Il va falloir prendre en compte les impacts environnementaux qui sont liés à sa fabrication, c’est-à-dire allouer les impacts du système qui a produit le déchet entre ce dernier et les autres produits qu’il génère au moyen d’un facteur d’allocation. Ce questionnement méthodologique a été au cœur de ma thèse de doctorat. Le concept est novateur et n’a jamais été pensé pour les produits issus du traitement des eaux usées. Le premier défi, c’est donc de continuer sur cette lancée. J’ai travaillé sur les boues d’épuration des eaux usées, mais la méthode que j’ai développée peut très bien s’appliquer sur des effluents d’élevage ou d’autres procédés de séparation.

Le second défi est l’amélioration des méthodes de caractérisation en ACV vis-à-vis de l’épuisement des ressources naturelles. On regarde notamment ici comment les réserves d’éléments renouvelables issus des activités anthropiques peuvent contribuer à la réduction de la criticité des ressources. Les méthodes de caractérisation sont des méthodes permettant de transformer les flux d’inventaire (par exemple, la quantité de phosphore qui sort de notre système) en impact environnemental. Or, on s’est rendu compte que le phosphore n’était pris en compte que dans trois méthodes de caractérisation et n’était pas forcément bien évalué en termes d’épuisement des ressources. Il y a donc tout un volet de recherches visant à améliorer ces méthodes de caractérisation pour mieux prendre en compte tous les éléments renouvelables issus de l’anthroposphère. Pour l’instant, ces méthodes de caractérisation n’évaluent que ce qui est issu du milieu naturel, et c’est là notre second défi principal.

Comment vous êtes-vous intéressée à ce sujet ?

Marilys Pradel : J’ai toujours été intéressée par les questions environnementales. Mon intérêt pour l’évaluation environnementale des produits déchet-sourcés s’est développé lorsque j’ai été sollicité par le ministère de l’écologie français et l’ONEMA (Office National de l’Eau et des Milieux Aquatiques) pour réaliser le bilan environnemental (Gaz à effet de serre) des filières de traitement et de valorisation des boues d’épuration urbaines. Ces travaux m’ont conduit à m’intéresser à l’évaluation des fertilisants boue-sourcés (tel que la struvite par exemple) et donc plus largement aux produits déchet-sourcés. Avant je travaillais plus sur la partie qui touchait à l’épandage et à la valorisation et avec le temps, on a commencé à s’intéresser à la filière entière.

Que diriez-vous à quelqu’un qui débute dans votre domaine?

Marilys Pradel : Tout d’abord, je lui dirais qu’il a fait le bon choix, parce que quelqu’un qui voudrait travailler dans ce domaine-là aurait un champ d’investigation relativement important : c’est un sujet d’avenir ! On sait tous qu’à terme, les réserves de ressources naturelles vont s’épuiser, et que le gros défi va être de mettre en place un procédé de récupération de ces ressources qui soit respectueux de l’environnement. Pour l’instant quand on réalise l’ACV d’un fertilisant conventionnel et d’un fertilisant issu des boues d’épuration, on se rend compte que ce n’est pas du tout rentable d’un point de vue environnemental. La quantité de réactifs et d’énergie qu’il faut pour pouvoir extraire cette ressource est plus importante que celle nécessaire pour l’extraire d’une roche phosphatée. Tout l’enjeu va être de trouver des procédés de récupération qui puissent maximiser la récupération du phosphore, tout en minimisant l’impact sur l’environnement. C’est le grand défi de la récupération d’éléments recyclables issus des déchets pour compenser l’épuisement des ressources naturelles. C’est un enjeu compliqué, ce qui le rend d’autant plus intéressant.

Marilys Pradel chez eValorix

Texte par Camille Briquet.
Propos recueillis par Camille Briquet.