Eric Brunelle et la gestion de la distance en milieu professionnel

Eric Brunelle est professeur agrégé au service de l’enseignement du management à HEC Montréal.Éric Brunelle

Expertises

Leadership et habiletés de direction, e-leadership et direction de personnes à distance

La mission d’eValorix est de diffuser les outils numériques issus de la recherche publique. Cette entrevue fait partie de la série d’entrevues avec les femmes et les hommes derrière cette recherche.

eValorix : À quel besoin souhaitez-vous répondre avec votre recherche ?

Eric Brunelle : J’essaie avec mes recherches d’aider les gestionnaires qui gèrent des personnes au travers des technologies à trouver des moyens efficaces d’y parvenir. Au Canada, il y a environ 40% des travailleurs en entreprise qui passent au moins une journée par semaine à l’extérieur des bureaux conventionnels de leur compagnie, en déplacement ou en télétravail. Cette modification des comportements professionnels amène certains gestionnaires à être contraint à gérer des gens qu’ils ne voient pas régulièrement et avec lesquelles ils doivent apprendre à communiquer et interagir différemment. Certains contacts entre deux personnes d’une même entreprise se font majoritairement par téléphone, par texto ou bien par courriel. Cela remet profondément en question la manière d’exercer son leadership au sein d’une équipe. Le temps des rencontres physiques et souvent informelles au cours desquelles on recherche une information et on influence les jeunes est en train de disparaitre. Au final, le but ultime de mes recherches est de trouver des moyens d’établir des relations fortes et durables et d’exercer convenablement son leadership dans ce contexte spécial. Comment on peut réussir à être un bon gestionnaire malgré la distance ? Mes recherches ont pour objectif d’assister les gestionnaires dans leurs recherches de performance, et d’aider les entreprises à mettre en place des pratiques pour mieux supporter ce changement.

eValorix : Quels sont les défis dans votre champ de recherche ?

Eric Brunelle : Les organisations avec lesquelles je travaille sont toutes différentes, et il faut s’adapter. Par exemple, dans le réseau de la santé, il y a eu récemment une nouvelle loi. Depuis cette dernière, les patrons ne sont plus tous regroupés au même endroit, mais sont dispersés partout. Cela a donné lieu à une organisation nouvelle que l’on appelle la gestion multiple. Celle-ci a des enjeux qui lui sont propres et qui nécessitent de s’adapter aux différents emplacements géographiques. La distance est bien présente, et mène à une utilisation intensive des technologies. Pourtant quand je m’adresse aux personnes qui se trouvent dans ce type de contextes, ils ne comprennent pas toujours que cette distance doit être gérée. Ils ont l’impression que la distance c’est seulement pour ceux qui font du télétravail et que ça ne les concerne pas vraiment. C’est là un de mes grands défis.

Ensuite, en termes de recherches, le défi est que le niveau des connaissances actuelles sur la notion de distance n’est pas très avancé. Il y a souvent de la confusion quant à ce qui est réellement en cause. Par exemple, la notion de distance est un concept qui possède plusieurs dimensions. Par exemple, il y a la distance physique, celle qui correspond à l’éloignement géographique, comme deux personnes dans deux villes différentes. Il y a également la distance psychologique, celle qui nous habite, qui est perçu et vit dans notre imaginaire. Combien de fois s’est-on déjà dit que l’on se sent très proche de quelqu’un qui est à l’autre bout du monde, mais éloigné de son voisin de bureau que l’on ne connait pas tant que ça ? Il y a quelque chose de très intangible là-dedans. L’impact de la distance physique est souvent très différent que celle de la distance psychologique. C’est un grand défi de comprendre la part de l’un et de l’autre. Mais tranquillement, on y arrive !

eValorix : Comment vous êtes-vous intéressée à ce sujet ?

Eric Brunelle : Je faisais des recherches sur ce sujet-là déjà en 1997 ; cela fait donc 20 ans que je travaille là-dessus. Mon premier article a été publié aux alentours de l’année 2001. A l’origine j’étais un entrepreneur. C’était le temps de la montée d’Internet, tout le monde parlait du bug de l’an 2000. Moi, je m’intéressais déjà aux enjeux majeurs d’Internet. J’étais à mon compte et les clients que j’avais ne connaissaient pas très bien les implications et les possibilités qu’offrait la toile. Ce n’était pas encore ancré dans les mentalités. J’ai détecté à ce moment-là une réelle opportunité d’affaire. Je me suis dit que d’ici quelques temps, les entreprises auraient besoin de mon aide pour les orienter sur la manière d’utiliser internet, autant dans leur mode d’organisation du travail que dans leur stratégie d’affaires. Je pensais déjà aux enjeux tels que le travail à domicile. Je me suis mis à m’intéresser à ça comme consultant, et de fil en aiguille, j’ai réalisé que tout cela allait bouleverser de manière majeure les organisations. L’élément déclencheur s’est fait là. En m’intéressant à cette affaire-là je me suis rendu compte qu’il y avait vraiment un besoin. J’ai par la suite commencé à faire quelques recherches sur le sujet. À l’époque on était peut-être trois ou quatre dans le monde à véritablement travailler sur ce sujet. Aujourd’hui on est pas mal plus que ça.

eValorix : Que diriez-vous à quelqu’un qui débute dans votre domaine?

Eric Brunelle : Le plus important, c’est surtout de s’ancrer dans une réalité concrète. Personnellement, je m’intéresse au concept de distance, mais je fais toutes mes recherches actuelles dans un contexte bien précis. Quand j’écris en limitant le discours à la gestion de la distance ou dans un contexte de gestion multiple (gérer les employés à domicile, tout ce qui concerne la gestion à distance), c’est souvent difficile pour les lecteurs à concevoir, à comprendre. Il est donc important de s’assurer d’être concret dans les démarches de recherche. Par exemple, si je fais une recherche sur l’impact de la distance pour les travailleurs à domicile, ne vais pas aborder la notion de travailleurs mobiles, même s’il est possible de faire de nombreux liens, cela génère souvent de la confusion pour les lecteurs. Je donnerais aussi le conseil de trouver des applications pratiques. Dans un domaine aussi conceptuel, il est grandement recommandé de fixer les choses au travers de bonnes pratiques, de bonnes stratégies, de bons moyens de faire et que les gestionnaires peuvent mettre en place.

Texte par Camille Briquet
Propos recueillis par Camille Briquet

Le soutien aux victimes d’agressions sexuelles : entrevue avec Mireille Cyr

Mireille CyrMireille Cyr est professeure titulaire au département de psychologie de l’Université de Montréal. Elle est également directrice scientifique au Centre de recherche interdisciplinaire sur les problèmes conjugaux et les agressions sexuelles (CRIPCAS) et co-titulaire de la Chaire de recherche Marie-Vincent sur les enfants victimes d’agression sexuelles.

Expertises

Agression sexuelle envers les enfants, Soutien parental, Entrevue d’enquête, Profils d’adaptation

eValorix : À quel besoin souhaitez-vous répondre avec votre recherche ?

Mireille Cyr : J’essaie de répondre aux besoins des victimes d’agressions sexuelles. Mes recherches visent principalement à aider les victimes à deux niveaux. Le premier soutien se fait au niveau de l’assistance dont elles pourraient avoir besoin, notamment de la part de leurs parents non agresseurs, pour composer avec les séquelles de leur agression. Mon second rôle est plutôt situé au niveau de l’entrevue d’enquête réalisée par les policiers avec les enfants : notre but est d’aider les policiers à détenir de meilleurs outils pour mener du mieux possible ces entrevues. Je travaille principalement auprès d’enfants et d’adolescents. Il est certain que l’on est confronté à la souffrance des parents, à l’impact et au choc du dévoilement de l’agression de leur enfant. C’est un domaine de recherche qui peut paraitre difficile au premier abord, de par le contenu de ce que les enfants révèlent, ou de par la souffrance des parents. Cependant, cela n’en est pas moins un domaine motivant par la recherche. Cette dernière contribue à améliorer de manière significative le vécu des parents et donc celui des enfants. Il en est de même pour les policiers : nos recherches les aident à faire de meilleures entrevues, ce qui aide les enfants à se sentir mieux compris, plus écoutés. Mes recherches ne concernent pas directement les traitements auprès des enfants, mais nous savons que le quotidien de ces jeunes est tout de même amélioré grâce à notre activité. Par le biais des parents et des policiers, on les aide à bénéficier d’une aide qui va leur permettre de surmonter le traumatisme qu’ils sont en train de vivre. Cela compense peut-être la difficulté de la thématique des révélations auxquelles nous avons accès. Nous savons que la recherche peut faire une différence sur les pratiques et sur la vie des personnes concernées.

eValorix : Quels sont les défis dans votre champ de recherche ?

Mireille Cyr : Il y a deux principaux défis. Le premier, c’est de travailler au quotidien avec des professionnels en indirect. Ces gens-là sont pris dans leur travail quotidien, ils sont très occupés, que ce soit les psychologues, les travailleurs sociaux, ou même les policiers. Mon accès aux participants pour les projets de recherche se fait grâce à ces personnes-là, et grâce aux contacts de confiance et relations de recherches développées avec eux. Cela implique donc qu’ils arrivent à trouver du temps dans leur horaire et dans leur organisation de façon à pouvoir nous aider à avoir accès à notre clientèle. De plus, les gens lorsque nous les rencontrons sont encore parfois en situation de crise, dans une étape très difficile de leur vie. Solliciter ces gens-là n’est donc pas évident, et ce surtout lorsque les intermédiaires eux-mêmes sont souvent débordés et changent de fonction après quelques années, les liens sont donc à refaire. Le second défi se situe plutôt au niveau des participants. Nous devons aborder nos questions de recherche sans causer plus de dommages sur le vécu des victimes et de leur entourage. Notre rôle est de s’assurer que les interventions et les questions que l’on élabore vont être mises en place dans un climat de soutien et que cela ne viendra pas ajouter un fardeau supplémentaire ou créer des difficultés dans un période de crise majeure pour les victimes.

eValorix : Comment vous êtes-vous intéressée à ce sujet ?

Mireille Cyr : Le déclic s’est fait à travers mon travail de professeur d’université. Je préparais des étudiants à la maitrise en psychologie, ils apprenaient la psychothérapie. J’ai alors été frappée par le nombre de femmes ou de jeunes femmes qui nous révélaient avoir été agressées, souvent par des proches, et qui venaient consulter à cause des séquelles de ces agressions. C’est vraiment après cela que je me suis mise à m’intéresser à la question des agressions sexuelles et je me suis joint à une groupe de recherche qui travaillait en partenariat avec des intervenants des centres jeunesse qui avaient besoin d’assistance pour réaliser leur mission « sur le terrain ». C’est comme cela que j’ai commencé à regarder les séquelles chez les enfants et les adolescents. Je me suis également intéressée au soutien maternel : comment peut-on aider au mieux les mères (et même les pères) à soutenir leur enfant ? La question « Comment faire de bonnes entrevues » est venue du questionnement des intervenants avec qui on travaillait, et s’est étendue aux policiers qui font aussi des entrevues auprès des enfants. Les interrogations sont venues du terrain, de la pratique de ces personnes, des gens avec qui je collabore.

eValorix : Que diriez-vous à quelqu’un qui débute dans votre domaine?

Mireille Cyr : Je lui dirais que même s’il y a eu beaucoup de progrès dans les connaissances et l’intervention concernant les agressions sexuelles, on se rend bien compte quand on regarde l’actualité que cette question-là demeure malheureusement une problématique sociale importante. Les victimes, peu importe leur âge, ont de la difficulté à révéler ce qui s’est passé. Quand arrivent des évènements comme l’histoire de Gilbert Rozon récemment, on se rend compte que le dévoilement n’est toujours pas facile et met parfois longtemps à avoir lieu. Il y a encore des besoins, entre autres pour faciliter cette étape difficile de la révélation. Il y a des périodes de crise pendant lesquelles la médiatisation va en aider certains, mais après, cela retombe. Pour quelqu’un qui débute dans le domaine il y a beaucoup de questions primordiales auxquelles on n’a pas encore répondu : comment faciliter ce dévoilement-là, comment faire de la prévention, comment diminuer le harcèlement sexuel, comment rendre les relations de couple plus respectueuses et égalitaires… Il y a encore du travail sur de nombreux points clés. Les choses avancent, mais avant que les mentalités changent de façon durable, il y a encore du chemin à faire.

Texte par Camille Briquet
Propos recueillis par Camille Briquet